La Bretagne connaît depuis de nombreuses années des problèmes de concentrations en nitrates dans ses cours d’eau et ses eaux souterraines . De nombreuses mesures ont été prises pour diminuer ces concentrations et les pressions sur l’ensemble du cycle de l’eau.
Les effets de ces mesures se font sentir à l’échelle régionale et les baisses de concentrations sont observées sur une large partie de la région.
Un phénomène naturel peut aussi engendrer une baisse des concentrations en nitrates : la dénitrification. La dénitrification est une réaction d’oxydo-réduction catalysée par les bactéries.
Deux types de dénitrification existent : la dénitrification hétérotrophe nécessitant du carbone organique et la dénitrification autotrophe ayant lieu au travers d’échanges avec les minéraux. La faible concentration en carbone organique dans les eaux souterraines induit que la réaction majoritaire dans les aquifères est de type autotrophe. La dénitrification hétérotrophe est quant à elle majoritaire dans les milieux tels que les zones humides et lits des cours d’eau.
Depuis sa mise en évidence en Bretagne sur la laiterie de Ploudaniel dans les années 1980, le processus de dénitrification a été largement étudié sur l‘ensemble du territoire (e.g. Pauwels et al., 1998, 2010 ; Faillat et al., 1999, Ayraud et al., 2006 ; Tarits et al., 2006 ; Boisson, 2013 ; Roques et al., 2014 ; Roques et al., 2018).
Alors que les premiers travaux se basaient sur des indices de dénitrification tels que des concentrations élevées en fer ou sulfates, une baisse de concentrations en nitrates , aboutissant notamment à une première cartographie des indices de dénitrification (Talbo et Duermael, 1995), les travaux menés par divers organismes de recherche ont permis d’améliorer les connaissances sur cette réaction.
Réactions et donneurs d’électrons
Plusieurs donneurs d’électrons sont susceptibles d’être à l’origine de la dénitrification. Dans les aquifères de socle , les minéraux sulfurés et des minéraux contenant du fer sont principalement mentionnés. La réaction autotrophe avec la pyrite est souvent considérée comme étant la réaction principale de dénitrification dans ce milieu (Pauwels et al., 1998 ; Conan et al., 2003 ; Tarits et al., 2006). Cette réaction est la suivante :
5 FeS2 + 14 NO3- + 4 H+ → 7 N2 + 10 SO42- + 5 Fe2+ + 2 H2O
et
NO3- + 5 Fe2+ + 6H+ → ½ N2 + 5 Fe3+ + 3 H2O
Les signatures isotopiques des sulfates, en particulier la diminution du δ34S, témoignent du rôle de la pyrite dans le processus de dénitrification observés sur plusieurs sites bretons (Pauwels et al., 2010). Cependant bien qu’une augmentation des concentrations en sulfates soit souvent observée, la stœchiométrie de la réaction est rarement respectée (Boisson et al., 2013 ; Pauwels et al., 1998 ; Tarits et al., 2006).
De ce fait différentes réactions complémentaires ont été proposées avec l’implication du Fe2+ (Tarits et al., 2006) et ou de la précipitation de minéraux sulfatés (Pauwels et al., 2000). Récemment des travaux ont mis en évidence le rôle d’autres minéraux tels que la biotite, élargissant les possibilités d’occurrence de la réaction à l’échelle régionale (Boisson, 2011 ; Aquilina et al., 2018 ; Roques et al., 2018).
Si les minéraux pouvant permettre la réaction de dénitrification dans les eaux souterraines sont nombreux et très largement présents (e.g. : la biotite est présente dans les granites et micaschistes), ils ne réagissent pas partout pour permettre la réaction de dénitrification.
Pour que la réaction ait lieu, les conditions suivantes sont nécessaires :
- Absence ou faible taux d’oxygène
- La présence de d’accepteurs d’électrons (nitrates )
- La présence de donneurs d’électrons (pyrite, fer…)
- La présence de communautés bactériennes servant de catalyseur de réaction
Pour que la réaction se développe il faut donc non seulement que ces éléments soient présents mais aussi qu’ils soient accessibles, ce qui est contrôlé par les chemins d’écoulements et l’hétérogénéité du milieu.
Suite à l’observation de la dénitrification à l’échelle régionale, la présence d’eau exempte de nitrates a souvent été attribuée à cette réaction. Cependant, une stratification des eaux, et notamment la présence d’eaux plus anciennes en profondeur, rechargées avant l’intensification des activités agricoles (et donc exemptes de nitrates ), a été mise en évidence par l’utilisation des traceurs environnementaux que sont les CFC et le SF6 [1] (Ayraud et al., 2008 ; Aquilina et al., 2012). Les relations observées entre les teneurs en nitrates et la teneur en tritium, permettant aussi de dater la recharge (eg :Pauwels et al., 2000), attestent également du lien entre la teneur en nitrate et la décennie au cours de laquelle l’eau s’est infiltrée. Ces études ont montré que l’extension des processus de dénitrification en profondeur restait fortement limitée et que ces processus sont principalement actifs dans la partie altérée des aquifères ou lors des perturbations anthropiques que constitue l’exploitation pour l’eau potable.
Observation, quantification et cinétiques
L’observation des cinétiques de réaction peut être réalisée par des analyses géochimiques et/ou isotopiques (eg. Pauwels et al., 2000). La réaction et ces cinétiques ont été quantifiées par des études de laboratoire (eg : Ayraud, 2007 ; Andrée et al., 2011 ; Boisson, 2011) mais aussi in situ.
A l’échelle du puits et de son proche entourage, les réactions ont été quantifiées par des essais de push-pull ou de traçage entre puits où les nitrates sont injectés dans l’aquifère simultanément à un traceur non-réactif (brome Br) avant d’être de nouveau pompés dans le puits qui a servi à l’injection après un temps d’interaction ou dans un puits adjacent après transfert. Cette technique a été utilisée sur le socle breton, à Ploemeur (Boisson et al., 2013) et à Naizin (Pauwels et al., 1998). Dans les 2 cas, des cinétiques remarquablement rapides ont été mesurées, correspondant à une division par 2 des concentrations en nitrates en un peu moins de 1,5 jour à Ploemeur et sur une période comprise entre 2 et 8 jours à Naizin. Sur le site de Saint Brice en Coglès, alors que le pompage dans l’aquifère sollicite des niveaux très chargés en nitrates , des teneurs faibles en nitrates ont ainsi été observées, correspondant à près de 100% d’abattement (Roques et al., 2014).
- Instrumentation et équipement lors d’un essai de Push-Pull sur le site de Ploemeur (56) - Boisson, 2011
A l’échelle de sites de pompage, la quantification de la réaction a notamment été réalisée sur le site de Ploemeur (Tarits et al., 2006 ; Roques et al., 2018) montrant notamment une pérennité de la réaction. Des quantifications ont aussi été réalisées sur des bassins versants comme sur le site expérimental de Kervidy Naizin (Molénat et al., 2002 Molénat et al., 2008) ou sur le bassin du Coët-Dan, où les quantifications convergent vers une contribution très significative d’eau souterraine dénitrifiée au fonctionnement des cours d’eau : 25% du flux d’eau provenant du milieu souterrain a été dénitrifié par réaction avec la pyrite et 65% des nitrates lessivés vers le milieu souterrain disparaîtraient par dénitrification (Pinault et al., 2001 et Conan et al., 2003).
- Schéma conceptuel de mélange et réactivité sur le site de Ploemeur (56) (Roques et al., 2018)
- Evolution des éléments consommés (négatifs) et produits (positifs) calculés par modélisation sur le site. Les concentrations sont exprimées en mmol/l pour NO3- et SO42- et en µmol/l pour Fe (Roques et al., 2018)
Microbiologie
Actuellement différents travaux sont en cours concernant les populations bactériennes contrôlant ce type de réactions pour connaitre leur structure, leur évolution et la structure des zones de réactivité dans les systèmes fracturées (Bochet et al., 2020 ; Bethencourt et al., 2020).
Lien avec les eaux de surface
La contribution globale annuelle des eaux souterraines à l’alimentation des rivières à l’échelle régionale se situe, selon les bassins versants, entre 35 et 85 % (Mougin et al., 2008 ; Aquilina et al., 2012). Les échanges entre nappes souterraines et rivières contrôlent les concentrations en éléments dans les eaux de surface (Molenat, et Gascuel-Odoux, 2002 ; Gascuel-Odoux et al., 2010). De ce fait, bien qu’ayant lieu dans les aquifères, la qualité des rivières bretonnes dépend fortement de la dénitrification en milieu souterrain et de l’évolution du processus au cours du temps.