Quels âges ont les eaux souterraines ?

L’âge de l’eau : découvrez la datation des eaux souterraines   grâce aux CFC
Saviez-vous que l’eau que vous buvez peut avoir des dizaines, voire des milliers d’années ? L’âge de l’eau souterraine est une notion fascinante qui nous permet de comprendre le parcours de l’eau depuis son infiltration   dans le sol jusqu’à son arrivée dans nos puits, nos sources et nos rivières via les aquifères. Mais comment les scientifiques parviennent-ils à déterminer cet âge ?

Schéma de principe de l’infiltration des eaux souterraines (source : Carteau, OIEau)

Les eaux souterraines   conservent la mémoire de l’atmosphère et des gaz qui y étaient présents au moment de la recharge   des nappes (c’est-à-dire de leur remplissage par infiltration   de l’eau de pluie), et ce tout au long de leur trajet souterrain. Par l’analyse de certains éléments tels que les CFC, il est donc possible de savoir à quelle période cette eau est entrée en contact avec le sol. Il est ainsi possible de déterminer le taux de renouvellement du réservoir, sa vulnérabilité, les vitesses de circulations…

Les principes

Qu’est-ce que l’âge de l’eau ?

L’âge des eaux souterraines   correspond au temps écoulé depuis l’entrée d’une molécule d’eau dans la nappe souterraine   jusqu’à son arrivée à un point précis de l’aquifère  . Il s’agit donc du temps que met une particule d’eau à voyager depuis sa recharge   jusqu’à son échantillonnage dans un puits ou à un exutoire naturel comme une source   ou une rivière. Étant donné qu’un échantillon d’eau souterraine résulte de l’intégration de nombreuses lignes de flux (Figure 1), la datation obtenue ne représente pas un âge unique, mais plutôt une moyenne pondérée des différents âges des eaux souterraines   présentes.

Figure 1 : Représentation simplifiée de la circulation d’eaux souterraines marquées par un transfert le long de différentes lignes de flux (source : V. Vergnaud)
1) La première année, l’eau des précipitations s’infiltre dans le milieu et acquiert la signature chimique de l’atmosphère (symboles identiques). 2) l’année suivante, la concentration atmosphérique du traceur augmente, l’eau qui s’infiltre au cours de cette année n+1 a donc une signature chimique différente de celle de l’année précédente. Ces signatures chimiques vont, en l’absence de dilution, de mélange ou de dégradation, être conservées par la masse d’eau jusqu’à l’exutoire du système.

Les traceurs

Il existe plusieurs types de traceurs pour étudier les eaux souterraines  , chacun adapté à différentes échelles de temps.

Le carbone 14 (14C) est le plus connu, utilisé pour des temps de résidence allant de quelques centaines d’années à 50 000 ans. Il est particulièrement adapté pour la datation des nappes à faible renouvellement, souvent appelées par abus de langage, nappes fossiles.

Le tritium (3H), marqué par un pic dans les années 60 à cause des essais nucléaires, est un autre traceur important, bien que ses mesures soient aujourd’hui plus difficiles à interpréter.
Les chlorofluorocarbones (CFC) sont des traceurs contemporains, caractéristiques des eaux infiltrées depuis les années 60, reflétant l’intensification des activités humaines. Ils ont été utilisés notamment comme réfrigérants, pour les mousses, bombes aérosols et interdits en 1996 en raison de leur effet sur la couche d’ozone. Ils sont utilisés dans les nappes à fort taux de renouvellement (<60 ans). Les analyses peuvent être complétées par d’autres gaz tels que l’hexafluorure de soufre (SF6) pour améliorer la précision des estimations.

Comment ça marche ?

Les concentrations de certains gaz tels que les CFC varient au cours du temps dans l’atmosphère. Leur concentration est donc relative à une année définie (Figure 2).
Les eaux souterraines   enregistrent la signature atmosphérique lors de leur recharge   et la conservent au cours de leur circulation. L’analyse des traces de CFC et SF6 contenus dans ces eaux permet donc d’estimer une date de recharge  , un temps de résidence voire une distribution des temps de résidence.
Les âges apparents obtenus par analyse des gaz d’origine anthropique tels que les CFC permettent non seulement de dater les eaux de manière qualitative (l’eau s’est-elle rechargée avant 1950 ou après ?) mais aussi quantitative sur les 50 dernières années. Néanmoins des études plus poussées et multi-traceurs sont souvent nécessaires pour déterminer la distribution des temps de transferts, l’eau s’écoulant rarement de manière uniforme dans le milieu souterrain.

Figure 2 : Evolution des concentrations atmosphériques des CFC-12, CFC-11 et CFC-113 entre 1940 et 2005. Les concentrations sont exprimées en pptv (partie par trillions de volume) soit 0.0001 µl/l (données issues de Walker et al., 2000, modifié par Vergnaud-Ayraud et al., 2008)

A quoi ça sert ?

L’estimation des temps de résidence dans un aquifère   est importante pour plusieurs raisons. Elle permet de définir le taux de renouvellement du réservoir, d’estimer sa vulnérabilité, de déterminer le taux de recharge  , d’évaluer les vitesses de circulation de l’eau, de calibrer les modèles hydrogéologiques et d’estimer les proportions de mélange. Ces informations sont cruciales pour la gestion des ressources en eau, car elles permettent de comprendre combien de temps l’eau met à se renouveler, ce qui est essentiel pour la gestion et la protection des ressources. De plus, connaître l’âge de l’eau souterraine est important pour évaluer la qualité de l’eau et identifier les sources de contamination. Les eaux plus anciennes peuvent contenir des polluants historiques, tandis que les eaux récentes peuvent être affectées par des contaminants modernes. Ainsi, l’estimation des temps de résidence dans un aquifère   est un outil précieux pour la compréhension, la gestion et la protection des ressources en eau.

Interprétations des âges de l’eau : Exemples de modèles conceptuels d’âges de l’eau

Les âges mesurés sont issus de mélanges de flux et de lignes de courant différentes. L’interprétation de ces âges et les conclusions qui peuvent en être tirées dépendent donc du contexte local. Ainsi, lors de l’interprétation il est nécessaire d’avoir, en complément des résultats de mesure, un schéma conceptuel des écoulements dans le milieu. Différents types de modèles conceptuels d’écoulements sont présentés Figure 3.

Figure 3 : Exemples de modèles conceptuels d’interprétation (source : V. Vergnaud)

Les méthodes d’analyse

Les concentrations de CFC dans l’air sont très faibles, de l’ordre du μl pour 1 000 l d’air. Dans les eaux souterraines  , elles sont encore plus faibles, de l’ordre de la picomole par litre (10-12 mol/l), nécessitant des outils analytiques avancés. L’analyse des CFC dans les eaux souterraines   se fait en trois étapes : extraction des gaz dissous par dégazage, préconcentration des gaz sur un piège à froid, et désorption à chaud pour analyse par chromatographie en phase gazeuse. Le système de préconcentration « purge-and-trap » permet de concentrer les gaz en un faible volume, améliorant ainsi la limite de détection.

Exemple de la Bretagne

Des mesures d’âges de l’eau ont été réalisées en Bretagne permettant ainsi d’avoir une vision des temps d’écoulement dans les aquifères bretons. Les aquifères bretons sont majoritairement des aquifères dits de socle  , avec un degré d’altération   de la roche diminuant avec la profondeur. De la surface vers la profondeur ils sont donc composés des altérites  , de l’horizon fissuré   et la roche saine. (voir article explicatif Aquifères bretons).

Dans le cas de la Bretagne (Figure 4), l’âge moyen mesuré est de 10 à 20 ans dans la partie supérieure (altérites  ). Ces mesures présentent toutefois des variations importantes en fonction de chemins d’écoulement. Ces âges augmentent avec la profondeur et sont plus élevés dans l’horizon fissuré  . Dans les parties les plus profondes, l’âge peut atteindre plusieurs dizaines d’années avec une valeur moyenne de 30 ans.

Ces études permettent de déterminer les vitesses d’écoulement dans le sous-sol et permettent notamment d’expliquer l’évolution des concentrations en nitrates   au cours du temps et la rémanence de certains produits tels que les pesticides dans les eaux souterraines  .

Figure 4 : Age de l’eau en fonction de la profondeur dans les aquifères de socle bretons. A droite représentation schématique des aquifères de socle (Ayraud et al., 2006)

Références :

  • Ayraud, V., 2005. Détermination du temps de résidence des eaux souterraines  : application au transfert d’azote dans les aquifères fracturés hétérogènes (These de doctorat). Rennes 1.
  • Ayraud, V., Aquilina, L., Labasque, T., Pauwels, H., Molenat, J., Pierson-Wickmann, A.-C., Durand, V., Bour, O., Tarits, C., Le Corre, P., Fourre, E., Merot, P., Davy, P., 2008. Compartmentalization of physical and chemical properties in hard-rock aquifers deduced from chemical and groundwater age analyses. Applied Geochemistry 23, 2686–2707. https://doi.org/10.1016/j.apgeochem.2008.06.001
  • Gourcy L., Baran N., Vittecoq B., Salquebre D. (2008) – Utilisation des outils CFC et SF6 pour la datation des eaux souterraines dans divers contextes hydrogéologiques français. Géologues N. 159, pp.30-38.
  • Vergnaud-Ayraud V., Aquilina L., Pauwels H., Labasque T. (2008) – La datation des eaux souterraines par analyse des CFC : un outil de gestion durable de la ressource en eau. TSM 1.

Article rédigé en collaboration avec Virginie Vergnaud (Université de Rennes).

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