Contexte
La surveillance accrue de la qualité des eaux souterraines depuis plusieurs années a mis en évidence une contamination plus ou moins importante des aquifères par les nitrates et/ou les produits phytosanitaires à l’échelle nationale. Dans le cadre de l’état des lieux 2019 à l’échelle du bassin Loire-Bretagne, il ressort que les masses d’eau souterraine en mauvais état chimique le sont pour 40% à cause des nitrates seuls, 38% à cause des nitrates et des pesticides, et 22% à cause des pesticides seuls. Dans le cadre des programmes de mesures, les décideurs et gestionnaires ont besoin d’outils pour évaluer a priori ou a posteriori l’efficacité des actions. Le projet POLDIF cofinancé par l’Agence de l’Eau Loire Bretagne et le BRGM vise donc à développer et tester différentes méthodologies et outils dans des contextes hydrogéologiques et de pressions agricoles variés. Le captage de la Ville Hélio à Plourhan (Côtes d’Armor) est l’un des sites tests de référence. Un puits y est exploité pour l’alimentation en eau potable et un forage (dénommé SR1) y a été réalisé. Sur ce site depuis plusieurs années, des actions de reconquête de la qualité de l’eau sont mises en œuvre ; les teneurs en nitrate dans les eaux souterraines restent cependant supérieures à la valeur de 50 mg/L.
Objectif
Pour mieux comprendre le transfert des contaminants, il est nécessaire de mieux contraindre le fonctionnement hydrogéologique du site. Un point crucial est de déterminer la géométrie de l’aquifère en 3 dimensions. Des approches pluridisciplinaires dont la géophysique présentée ici ont été déployées de manière couplée pour en préciser l’intérêt et les limites dans ce contexte hydrogéologique.
Démarche scientifique
Qu’est-ce que la tomographie de résistivité électrique ?
La résistivité électrique d’un corps est la capacité de ce dernier à s’opposer au courant électrique. L’imagerie électrique consiste à étudier la distribution de cette résistivité électrique dans un milieu ; en géophysique, il s’agit du sous-sol. Le principe de mesure repose sur (Illustration 1) :
- l’injection d’un courant électrique (I , en bleu) dans le sol, grâce à un couple d’électrodes A-B ;
- la mesure de la différence de potentiel ainsi générée (U, en rouge), grâce à un autre couple d’électrodes M-N.
De manière simplifiée, la résistivité électrique R du milieu traversé est déterminée grâce à la loi d’ohm (U=R*I).
- Illustration 1 - Principe de la mesure en imagerie électrique du sous-sol
- Illustration 2 – Photos du matériel mis en œuvre sur le terrain
La Tomographie de Résistivité Electrique (ou TRE) est une technique 2 dimensions (2D) de caractérisation de la répartition des résistivités électriques dans le sous-sol. Elle consiste à réaliser les mesures le long d’une ligne d’acquisition multi-électrodes (Illustration 2). Chaque quadripôle (constitué par 2 couples d’électrodes) permet d’acquérir un point de mesure (Illustration 3) : en déplaçant le quadripôle le long de la ligne de mesure on acquiert des points le long de cette ligne ; en augmentant l’espacement des électrodes du quadripôle, on acquiert des points de mesure de plus en plus profonds.
- Illustration 3 - Principe de la Tomographie de Résistivité Electrique (modifié d’après Marescot, 2008)
Réalisation
Dans le cadre du projet POLDIF, trois profils TRE ont été réalisés sur le site de la Ville Hélio à Plourhan. Orientés ouest-est, ils ont été positionnés de manière à recouper le plus perpendiculairement possible les contacts géologiques et failles cartographiées dans le secteur. La longueur totale (L) d’un profil déterminant la profondeur maximale d’investigation (PImax ≈ L/6), deux géométries ont été mises en œuvre. Ainsi, deux profils « longs » ont été implantés en parallèle afin d’obtenir une vue d’ensemble du bâti géologique du secteur. En complément, un profil « court », a été réalisé sur le profil « long » situé le plus au sud, afin d’ausculter plus finement les terrains superficiels au niveau du forage SR1.
Cette stratégie a permis de garantir une bonne résolution des niveaux superficiels tout en imageant des structures jusqu’à 160 m profondeur.
Résultat : de la coupe géophysique à la carte géologique
Les données géophysiques brutes, une fois traitées, permettent d’obtenir une coupe de distribution des résistivités électriques (Illustration 4A). L’analyse des résultats géophysiques se fait ensuite en trois étapes :
- L’identification des différents corps électriques, conducteurs (notés C sur la coupe ci-dessous) ou résistants (notés R), qui constituent la coupe (Illustration 4B) ;
- La confrontation de ces unités électriques avec les logs de forages existants sur le secteur. L’objectif de cette étape est d’associer une lithologie à chaque corps électrique identifié. Pour ce faire, les logs géologiques distants de moins de 250 m des profils géophysiques ont été projetés sur les coupes. Une correspondance litho-électrique a été ainsi déterminée ; les unités électriques deviennent alors des unités géoélectriques.
- L’interprétation en termes de formations géologiques : à partir de la coupe géoélectrique (Illustration 4B) le géologue réalise une coupe géologique (Illustration 4C), le long de chaque profil TRE, en y ajoutant des contraintes issues de ces observations (e.g. pendage de faille).
- Illustration 4 – Extrait des résultats géophysiques obtenus dans le cadre du projet POLDIF
- A et B : coupes 2D de distribution des résistivités électriques brute et interprétée. C : coupe géologique résultante.
Une fois les coupes géophysiques interprétées en termes de géologie, les principales structures tectoniques identifiées (failles) ont été représentées en carte pour être confrontées aux informations géologiques existantes (Illustration 5A). L’apport des données géophysiques a ainsi permis de mettre à jour la carte géologique locale (Illustration 5B).
- Illustration 5 – Evolution de la carte géologique du secteur de la Ville-Hélio grâce aux résultats géophysiques
- (les profils géophysiques sont représentés en rouge sur la carte B).
N.B. l’analyse en coupe et la spatialisation en carte ne constituent pas deux étapes distinctes et indépendantes d’un même processus mais bien les deux éléments d’une approche imbriquée.
Résultats
Les données géophysiques ont apporté de nouvelles contraintes au modèle géologique du secteur. Dans le détail, elles ont précisé la position du contact géologique entre les amphibolites/volcanites à l’ouest et les grès/pélites à l’est. Elles apportent également des précisions sur l’épaisseur d’altération de chacune de ces formations, une couche nommée saprolite.
D’un point de vue structural, de nombreuses failles ont également été identifiées. Une fois cartographiées, elles forment un réseau très dense, qui découpe la zone d’étude en de nombreux blocs.
Enfin, les résultats géophysiques ont mis en évidence la présence d’une intrusion de diorite et gabbro de Saint-Quay-Portrieux et de son auréole de métamorphisme, au sein des grès et pélites.
D’un point de vue hydrogéologique, les données géophysiques ont montré une même signature conductrice au niveau des altérites des différentes formations géologiques, qui constituent donc un réservoir superficiel contenant de l’eau souterraine. Elles ont également montré quelles sont les principales formations géologiques aquifères sur ce site : l’auréole de métamorphisme liée à l’intrusion de diorite semble être l’aquifère le plus important du secteur, suivi par les grès et pélites alors que les amphibolites paraissant moins perméables.
Ces nouvelles données sont autant d’éléments indispensables à la compréhension du fonctionnement de l’hydrosystème du secteur de la Ville-Hélio. Les altérites superficielles, aquifères, recueillent et drainent les eaux de surface. Les failles semblent constituer quant à elles des drains verticaux, avec des circulations d’eau préférentielles.
Les avancées
Le travail concerté entre les géophysiciens, géologues, hydrogéologues et géochimistes a permis de préciser le modèle conceptuel hydrogéologique du secteur, un challenge à cette échelle de travail de quelques kilomètres carrés. Ce modèle éclaire sur la qualité actuelle des eaux souterraines et son évolution possible mais aussi sur la variabilité observée au niveau spatial.
Il a ainsi été montré que la source captée est surtout alimentée par les altérites des grès et pélites et que l’hydrosystème n’est pas homogène. En effet, des compartiments « isolés » de la circulation souterraine générale existent pouvant ainsi expliquer la présence d’eaux résiduelles anciennes non ou peu impactées par l’activité agricole du bassin.
Au-delà de ce site test, ce type d’approche parait tout à fait prometteur dans un contexte de socle où les affleurements sont peu nombreux et où la compartimentation de l’aquifère peut être importante.
L’utilisation plus systématique de la géophysique couplée à une expertise hydrogéologique, géologique et géochimique en domaine de socle pourrait être une piste à envisager dans l’établissement ou la révision des aires d’alimentation de captage .